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Quels sont les risques liés au marché et aux dérivés ?

Les risques liés aux conditions générales du marché sont en principe dus à l’évolution de l’ensemble de l’économie, de la fiscalité, des taux d’intérêt, de l’inflation, mais aussi et surtout du sentiment des investisseurs par rapport aux évolutions futures du marché.

Le risque de marché généré par les dérivés provient directement de l’existence d’un sous-jacent (I). Dès lors, le risque de marché démontre les limites du principe d’abstraction du sous-jacent par le dérivé (II).

I. Un risque lié à l’existence du sous-jacent

« Le risque de marché d’un produit dérivé se matérialise par le risque d’un déclin dans la valeur du contrat découlant des mouvements adverses dans le prix, l’indice, ou le taux de l’instrument sous-jacent du contrat ». Il s’agit du risque le plus naturel issu des dérivés car il est intrinsèquement lié à l’existence d’un aléa. Le risque de marché découle directement d’une évolution défavorable d’un prix du marché quel qu’il soit, par exemple le prix du sous-jacent ou celle des taux d’intérêts ou des taux de change. Ce risque matérialise tous les changements potentiels pouvant survenir sur le marché, et étant de nature à renchérir les obligations de l’une des parties dans le cadre du contrat à terme, et par conséquent causer une incapacité partielle ou totale de celle-ci d’exécuter ses engagements contractuels.

Dans cette perspective, le risque de marché a été mis en évidence dans de nombreux cas, notamment l’affaire Metallgesellshaft. Dans cette affaire, la firme allemande Metallgesellshaft a été confrontée frontalement au risque de marché lié aux dérivés. En l’occurrence, la filiale américaine de la compagnie, MGRM, a conclu des contrats de vente portant sur des actifs pétroliers, en fonction de prix fixes prédéterminés, et à échéances successives sur une période de dix années.

Dans un souci de garantir ses marges de profit au moment des livraisons futures, la société conclut unesérie de contrats à terme ferme et swaps, anticipant une hausse des cours du baril de pétrole. Toutefois, les prix du baril chutèrent drastiquement, de 19$ le baril au 1er juin 1993 à 15$ en décembre 1993, soit une baisse constatée de près de 20%, entrainant une perte comptable de 1,3 milliards de dollars pour la société, ce qui représente près de la moitié du capital social de la maison-mère.

Seule l’intervention de groupements bancaires et d’institutions financières a permis d’éviter une faillite à la société allemande, cette faillite aurait signifié une impossibilité d’exécuter ses obligations issues des contrats dérivés conclus, la plupart du temps avec des banques internationales à risque systémique.

La mise en œuvre de l’amendement à l’Accord de Bâle sur les fonds propres de 1988 a institué une exigence de couverture des risques de marché par des fonds propres réglementaires. Les risques de marché concernés par ces exigences sont de quatre types : les taux d’intérêt, les variations du prix des titres de propriété, le règlement-contrepartie, ainsi que le change. Pour permettre aux établissements de mesurer efficacement ces risques, l’Amendement de 1996 offre la faculté à ces derniers soit d’appliquer une méthode standard, soit des modèles internes.

Dans le cas des dérivés, il existe principalement un risque de taux et un risque sur titres de propriété, qui est lié à l’actif sous-jacent. A cet égard, il faut distinguer le risque général, qui est lié aux variations globales du marché, par exemple la fluctuation du niveau des taux d’intérêt ou l’évolution générale d’un marché d’actions ; et le risque spécifique, qui dépend de l’évolution de la qualité de la signature de l’émetteur.

II. Une limite au principe d’abstraction de la chose sous-jacente par le dérivé

Il a été démontré que le principe d’abstraction permettait une autonomie juridique du dérivé par rapport à son sous-jacent, ne laissant subsister qu’une exposition économique à sa valeur. Toutefois, le risque de marché semble pouvoir menacer le « lien économique » entre le dérivé et son sous-jacent. A ce titre, il peut arriver que « la substance même du sous-jacent soit modifiée de sorte à en affecter la valeur » ou que la cotation du sous-jacent, qui traduit sa valeur, disparaisse. Le cas des dérivés portant sur des actions est représentatif de ce risque de rupture du lien économique entre l’instrument et son sous-jacent.

Dans le premier cas, les prévisions des parties au dérivé peuvent se trouver radicalement modifiées en cas de détachement d’un droit d’une action, notamment un dividende, un droit préférentiel de souscription, un droit d’attribution ou encore une distribution de réserves. En effet, la valeur du sous-jacent peut se trouver modifiée par un évènement extérieur à la volonté des parties, et qui relève d’un risque de marché non pas général, mais spécifique à l’émetteur du sous-jacent. Pour faire face à cet évènement, les contrats-type de dérivés ont prévu des modalités d’ajustement des obligations des parties. Par exemple, dans un contrat d’option sur action, ils permettent d’ajuster le prix d’exercice de l’option à la baisse lorsqu’il y a détachement d’un droit des actions sous- jacentes.

En principe, le versement d’un dividende ordinaire, en ce qu’il ne modifie pas la substance de l’action, ne donne pas lieu à un ajustement en vertu du contrat-type. A l’inverse, d’autres hypothèses comme le détachement d’un droit préférentiel de souscription ou d’un droit d’attribution permettent aux parties de procéder à un ajustement.

La cotation de l’action sous-jacente, dans le cas où elle existe, peut disparaitre à la suite de certains événements, notamment une fusion, une faillite ou une radiation de la cote. En cas de survenance d’un tél évènement, l’exécution du dérivé peut être remise en cause, rendant ces contrats caducs. La référence sur laquelle repose le contrat devient défaillante et ne permet plus aux parties d’exposer leurs anticipations personnelles sur sa valeur future. En matière de contrat d’indexation, qui suit le même schéma que le dérivé, le juge se reconnait parfois le pouvoir de substituer une référence nouvelle à la référence défaillante. Toutefois, il fonde cette substitution sur la recherche de l’intention commune des parties au moment de conclure ce contrat.

Dans le cas des dérivés, cette substitution est d’ordre conventionnel : les parties prévoient en général une ou plusieurs références de remplacement en cas de disparition de la cotation du sous-jacent. Il s’agit d’une clause dite de fallback.

Les parties peuvent même se réserver la faculté de résilier le dérivé. Sur les marchés réglementés, la règle de résiliation anticipée du dérivé en cas disparition de la cotation du sous-jacent est impérative.

En matière de dérivés, le risque de marché spécifique peut par conséquent avoir une incidence sur la substance du dérivé et sur son existence même du fait de la présence de la chose sous-jacente.

Le dérivé est in fine bien générateur de précarité pour les parties qui le concluent. Elles sont exposées à des risques liés aux conditions générales du marché de conclusion – le risque de marché et à plus large horizon, le risque de liquidité et à des risques qui découlent de circonstances qui leur sont propres, risque de contrepartie et risque opérationnel. Si la présence de ces risques s’explique principalement par la nature aléatoire des dérivés, elle est aussi due à l’existence même du sous-jacent, qui « transmet ces risques » au dérivé.

Les dérivés financiers, en tant qu’instruments de couverture ou de spéculation, présentent des risques inhérents liés à l’existence du sous-jacent et à la nature même des marchés financiers. Ces risques comprennent le risque de marché, le risque de contrepartie, le risque opérationnel et le risque de liquidité. Bien que les dérivés offrent des opportunités de gestion des risques, il est essentiel pour les investisseurs et les entreprises de comprendre et de gérer ces risques de manière appropriée pour éviter des pertes financières importantes.

En outre, il est important de noter que les réglementations financières, telles que l’Accord de Bâle sur les fonds propres, visent à atténuer certains de ces risques en imposant des exigences de couverture et de surveillance. Cependant, malgré ces réglementations, les marchés financiers restent dynamiques et sujets à des fluctuations, ce qui nécessite une vigilance continue de la part des acteurs financiers.

En résumé, bien que les dérivés financiers offrent des avantages en termes de gestion des risques et de spéculation sur les marchés, ils comportent également des risques significatifs qui doivent être pris en compte et gérés de manière adéquate par les investisseurs et les entreprises.


[1] J. Leach, « Hearing Before the Committee on Banking, Finance and Urban Affairs House Of Representatives, Safety and Soundness Issues Related to Bank Derivatives Activities », préc., n° 3, p. 24: « The market risk of a derivative is the risk of a decline in the contract arising from an adverse movements in the price, index or rate of the instrument underlying the contract » (trad. libre). [2] F.R. Edwards, « Derivatives can be hasardeous to your health: The Case of Metallgesellschaft », Derivatives Quaterly, 1995, 1 (1995), p.43. [3] Essence et diesel essentiellement. [4] Portant sur environ 160 millions de barils de pétrole. [5] Le capital de Metallgesellshaft s’élevait à environ 2.8 milliards de dollars. [6] D’autres affaires démontrent la migration du risque de marché vers un risque systémique, notamment l’affaire de la banque Lehman Brothers, de la banque Barings, du comté d’Orange en Californie, de la Show Shell Sikiyu au Japon. En ce qui concerne les sources et les conséquences de l’affaire Lehman Brothers du point de vue des opérations sur produits dérivés, v. notamment H. Ekué, « Lehman Brothers : contrepartie dans des opérations sur produits dérivés », RDBF, sept.2009, n°5, p.57-62. [7] La plupart des établissements ont eu recours à des modèles internes fondés sur la détermination d’une perte potentielle, ou valeur en risque, actualisée quotidiennement. Celle-ci est calculée à partir d’un ensemble de facteurs de risque et selon des critères quantitatifs et qualitatifs strictement déterminés par les régulateurs. [8] A. Gaudemet, Les dérivés, ed. recherches juridiques n°223, p. 106. [9] Art. 6. 2. 1 de l’Additif technique Option sur action et option sur panier d’actions de la FBF : « En cas de survenance d’un évènement ayant un effet relutif ou dilutif sur la valeur de l’Action qui peut être, mais non exclusivement, une émission avec droit préférentiel de souscription, droit de propriété, droit d’attribution, un distribution de réserves en espèces, un amortissement de capital, une distribution sous la forme de titres du portefeuille ou de tout autre actif, ou une distribution exceptionnelle de dividendes, l’Agent en détermine les conséquences sur l’Option en ajustant les caractéristiques de l’Option, en particulier le nombre d’Options, la parité et le prix d’exercice ». [10] V. sur ce point Art. 6.1, 6.2 et 6.3 de la « Politique en matière d’opérations sur titres » d’Euronext.liffe, 5 avril 2006. [11] Cass. civ. 3ème . 12 janv. 2005, Bull. Civ. III, n°4; Cass. civ. 3ème 18 juil. 1985, Bull. Civ. III, n°113, RTD civ. 1986. 599, n°6, obs. J. Mestre. [12] V. par exemple CA Paris, 19 mai 2002, Banque et droit, n°84, juill.-août 2002, chron. H. de Vauplane et J.J. Daigre, p.24. [13] Concernant les options sur actions par exemple, v. art. 6.2.2 al. 1 de l’Additif technique Option sur action et Option sur paniers d’action de la FBF, préc. : « Pour une option sur action, en cas de radiation de l’action et de disparition de toute cotation officielle de celle-ci, l’exercice de l’option est suspendu et les parties se concertent pendant une période de deux jours de bourse à compter de la date de radiation afin d’en déterminer les conséquences sur l’option. A défaut d’accord entre les parties à l’issue de cette période de concertation, l’option est résiliée selon les modalités décrites ci après […] ». [14] V. art 6.5 de la « Politique en matière d’opérations sur titre », d’Euronext.liffe, préc.

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